Je ne sais pas si c’est par hasard, mais juste avant mon départ, voilà que je suis allée au cinéma pour voir « Les chemins de la liberté ». C’est un film qui parle d’une évasion incroyable : du goulag sibérien aux rizières de l’Inde, six hommes se fraient un chemin à travers la taïga, le désert de Mongolie et les Himalaya.Leur longue marche, de 6 500 km, les amène, à la fin, vers le monde libre.

Est-ce que cette séance de cinéma a un lien avec mon voyage en Thaïlande ? Non, aucun. Mais il m’a rappelé une chose fondamentale : que je suis une des descendantes de ces hommes et femmes qui, s’ils n’ont pas pu échapper au communisme, ils y ont survécu ou ils en sont morts. J’ai déjà essayé à plusieurs reprises d’expliquer autour de moi ce que pouvait signifier que de vivre sous une dictature communiste. J’ai déjà écrit à ce sujet.

Mais comment expliquer à quelqu’un ce que c’est la faim si ce quelqu’un n’a jamais senti ce que c’est d’avoir le creux au ventre? Ou comment expliquer à quelqu’un ce que c’est le froid s’il n’a jamais manqué de chaleur ou de lumière en hiver ?

Et encore au-delà de ça, comment expliquer ce que c’est que de vivre avec la peur qu’on n’est pas libre de dire ce que l’on pense sous peine de se voir embarqué pour un voyage sans retour dès le lendemain ? Comment expliquer qu’il y a eu des gens qui ont passé des années en prison juste pour avoir donnée un bout de pain à un « ennemi du peuple » ? Qu’il y a eu des familles qui ont été démembrées du jour au lendemain ? Qu’il y a encore de gens qui ne savent toujours pas ce qu’est arrivé à un père ou à un frère ou à une mère ? Vous imaginez vous, voir des hommes débarquer dans votre salon et amener votre frère ou sœur, sans explication et sans certitude de les revoir ? La réponse est non, tant qu’on n’a pas vécu ce moment intense, où la peur, la révolte, la tristesse et l’espoir vous font vibrer pour la vie de quelqu’un cher, non, on ne peut pas le comprendre…En fait, je trouve fascinant la facilité avec laquelle nous avons oublié tout ça, même nous, les peuples qui l’avons subi pendant un demi-siècle. Dans la Roumanie « moderne » on ne pense qu’aux dernières fringues à la mode et aux nouveaux endroits branchés pour passer son weekend. Comment est-ce qu’on a pu oublier si vite qu’il y a des millions de gens qui ont été exécutés, enfermés, condamnés à des travaux forcés, affamés, torturés, battus, humiliés pendant des années ? Et que ces gens-là sont nos parents ou grands-parents ?... A croire que le bien-être matériel peut tout éponger.

Il n’empêche que ce soir, en regardant ce film qui rend hommage à tous ceux qui ont pu s’échapper de cet enfer, mais surtout à ceux qui y ont péri, je me suis rappelée, avec une extrême lucidité, que mes racines sont loin du monde de paillettes et de la dernière mode dans lequel je vis aujourd’hui. Mes ancêtres eux, ce sont ces gens qui ont survécu la dictature, qui ont survécu la guerre, qui ont survécu les invasions des Ottomans et des mongols de Gengis Khan. Nous y avons survécu sans dominer les autres mais en s’y adaptant à chaque fois. Nous y avons survécu parce que nous avons été souples comme le saule et non pas forts et fiers comme le chêne…

Et avec ce souvenir dans mon esprit, je me dis que c’est aussi grâce à eux je peux aujourd’hui aller à l’autre bout du monde pour passer deux semaines à donner des cours d’anglais dans une école rurale dans la province d’Isan en Thaïlande. C’est grâce à eux qu’aujourd’hui je vis dans un monde libre, où des multiples choix s’offrent à moi et où, le plus important de tout c’est de s’épanouir. Et pour tout cela je me dois de leur dire « Merci ! ».

Les chemins de la liberté

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